Liber a écrit: A cette vision de l'homme moral, nous en opposons aujourd'hui une autre : le caractère sacré de la vie humaine, pour reprendre une formulation religieuse. Notre absolu n'est plus le Bien, mais la Vie, au point de ne plus désirer l'ôter au pire des meurtriers, et même, de considérer cet acte comme encore plus infamant que le sien. Il serait intéressant de comprendre comment ce changement radical a pu advenir.
La sacralisation de la vie a largement contribué à l'abolition progressive de la peine de mort, et sans doute cela vaut mieux. Mais le prix à payer est bien lourd. Pour un homme qu'on épargne, combien de procéduriers avons-nous lâchés en pleine nature, en contrepartie, à propos de tout et de n'importe quoi ? Il est loin le temps où il paraissait naturel qu'un homme pût commettre une erreur. Cela, on ne le pardonne plus. Votre vie peut basculer d'un instant à l'autre et devenir un enfer invivable, parce que la sacralisation de la vie signifie en fait et en droit le refus catégorique et fou de ce qui fait la vie : l'accident, le hasard. On nous condamne à vivre.Liber a écrit: Quand je lis l'emblématique Dernier jour d'un condamné de Victor Hugo, je me sens en total accord avec l'auteur. La part d'homme, donc de semblable qu'il y a en moi avec le meurtrier (supposons-le coupable à coup sûr), se révèle, et je ne puis rien faire pour me la cacher, quelles que soient les raisons que je tente d'y opposer dans ce tribunal intérieur qu'est devenu pour l'occasion ma conscience. Serions-nous (j'emploie le pluriel collectif) devenus plus tendres et donc, fatalement, plus immoraux ? Céderions-nous plus facilement au Mal ? En tous les cas, cela signifie une chose : nous ne croyons plus à l'existence du Bien et du Mal, que ce soit en nous ou hors de nous. Nous ne pouvons donc plus échanger un mal par un autre mal. Nous ne pouvons plus appliquer la peine de mort, et même, nous ne devrions plus appliquer, en bonne logique, toute justice rétributive, comme contraire à la morale, c'est-à-dire, à la conviction que le méchant fait le Mal par méchanceté et que chaque homme sait ce qu'est le Bien et qu'il est libre de ne pas le suivre. Le vieux Platon ne disait-il pas déjà que "nul n'est méchant volontairement" ?
Malheureusement, même en supposant un monde où chaque être ferait l'objet des meilleures attentions (éducation, etc.), nous aurions encore des criminels. Quelles que soient la justice, la prudence, la prévoyance des hommes, il faut se faire une raison : ce que nous appelions le mal est aussi de l'ordre de l'imprévisible. Tel, dont tout montrait qu'il était rationnel, prévenant, sociable, etc., bascule, du jour au lendemain, d'une seconde à l'autre, commettant un crime que rien ne laissait prévoir. Que peut la justice face à cela ?vif a écrit: si je m'imagine dans le feu de l'action je me vois facilement et sans problème majeur si les conditions le permettent appliquer la loi du talion ou la peine de mort en rééquilibrage immédiat et proportionné du préjudice dont je viens d'être la victime.
Autrement dit : on me donne une claque, je la rends illico, rien que de très normal, je ne suis pas Jésus.
Vous interprétez pour le moins curieusement ce que d'aucuns appelleraient plus raisonnablement un réflexe, une réaction impulsive. Aucun rééquilibrage là-dedans, aucune proportion entre une chose et une autre : nous sommes dans du mimétisme pur, dans du même, dans de l'indifférencié. Pour parler d'un rééquilibrage, en l'occurrence, il faudrait que l'un et l'autre des deux ennemis en présence fussent conscients de ce qu'est un autre que soi, de ce qu'est l'altérité. Sans cela, pas d'objectivité possible, et par conséquent pas de justice plus élaborée que la loi du talion.Aristippe de cyrène a écrit: Si la justice tue celui qui tue, elle ne peut être juste, et donc ne peut être appelée justice. Quel crédit pourrait-on accorder à une justice qui userait des mêmes moyens que ceux qui l'ont bafouée ?
Robert Badinter, sors de ce corps ! Liber a écrit: En France, nous avons choisi de corriger le coupable, de le remettre dans l'ordre moral
C'est en effet l'intention, louable certes. Mais cette intention est-elle vraiment ce qu'on prétend qu'elle est ? J'en doute. Je n'en douterai peut-être plus lorsqu'elle se donnera vraiment les moyens de faire ce qu'elle dit qu'elle veut faire. Combien de suicidés en prison ? Combien d'hommes réduits à une existence dont aucun animal ne voudrait ? Les geôles françaises sont pires que l'enfer le plus redoutable. Elles sont la honte de l'humanité. Une abjection indiscutablement. Au lieu d'accuser la justice à chaque fois qu'un récidiviste sort de prison, on ferait mieux de regarder d'un peu plus près le personnel dévolu au quotidien d'hommes que le bobo parisien aime intellectuellement, en Idée, dans un paradis Théorique, le cul vissé au molleton, Télérama dans les mains. Mettez-le en présence d'un prisonnier et, sans se l'avouer, dans sa cervelle, presque instantanément, une idée nouvelle surgira : l'être qu'on lui a présenté n'est pas un homme, guère plus que l'objet d'un mépris et d'une révulsion définitifs.Dernière édition par Euterpe le Jeu 28 Juil 2016 - 23:54, édité 2 fois