5. Une toute puissance du λόγος ?
Cette prétention ou cette ambition d'une toute puissance par le logos, c'est dans le Gorgias qu'elle apparaît le plus clairement. Pour Gorgias, la rhétorique est l'art suprême, car : - elle n'a pas d'objet propre ; - mais elle impose son commandement à tous les arts. (La rhétorique est l'art de faire valoir les autres arts, elle donne son efficacité réelle aux autres arts ; cf. 456b-c.) La tradition philosophique a été très sévère à l'égard de la rhétorique. Le sophiste et le rhéteur sont tenus pour des marchands d'illusions. C'est la compétence qui domine, d'après Platon, et non l'art de persuader. Mais dire que le médecin doit se doubler d'un rhéteur, comme l'affirme Gorgias, n'est-ce pas rappeler que le rapport médecin/malade est un rapport de compétence ? Faire place à la rhétorique, n'est-ce pas aussi reconnaître que le rapport médecin/malade est également un rapport humain ? Le médecin est impuissant sans la confiance d'un malade ; le savoir ne confère d'autorité que si le médecin est reconnu compétent. Toutefois, la rhétorique n'est-elle pas qu'un art parmi d'autres ?
Elle n'a pas d'objet propre. Dans ce cas, s'agit-il d'une πολυμάθεια (polymathie : compétence universelle, encyclopédique) ? Cette capacité à parler de toutes choses correspond à ce que l'on entend par 'culture générale'. La technique de la rhétorique est purement formelle : elle ne suppose aucun savoir des choses, mais une certaine maîtrise de la langue, une expérience des hommes dans leurs relations. Si la rhétorique est un art de persuasion, c'est qu'elle intègre une expérience des hommes. Sur ce point, Aristote se sent plus proche des rhéteurs que de Platon. Or, quelle serait la position platonicienne ici ?
Platon affirme une opposition radicale entre rhétorique et philosophie (dialectique). La rhétorique se détache de la vérité du discours. Pourtant, on trouve dans Phèdre (260e sq.) l'hypothèse de 2 rhétoriques différentes :
- celle des sophistes, routine fondée sur l'opinion
- celle entièrement normée par la dialectique (et qui ne se confond pas avec elle)
Or, suffit-il d'énoncer le vrai pour convaincre ? La dialectique comme science de la réalité n'a-t-elle pas besoin d'une rhétorique ? Socrate recourt à la psychologie (étude des différents types d'âmes). A partir d'une science de la diversité des âmes et des discours, il serait possible de faire correspondre différents types de discours aux différents types d'âmes pour les faire accéder au vrai. Mais cette hypothèse ne sera jamais reprise. Aristote rejette l'idée même d'une rhétorique 'scientifique' : il n'y a pas d'autre rhétorique que celle des rhéteurs. Le rhéteur ne peut être un homme de science, parce que la science spécialise et isole. Elle sépare l'homme de lui-même, le morcelle ; elle ne permet pas de trouver en soi la plénitude de l'humanité (cf. Gorgias : le rhéteur l'emporte sur le savant, en tant qu'homme ; à la transcendance de ceux qui savent, il substitue la fraternité de ceux qui touchent aux opinions). Aristote réhabilite cette démarche de la pensée qui prend pour objet l'opinion.
3 questions doivent être posées, ici :
- Quelle est la valeur respective de la polymathie (de la culture générale) et de la compétence ?
- Quel rapport envisager entre science et opinion ?
- Qu'en est-il de cette question à la fois philosophique et politique entre universalité et commandement (cf. l'architectonique) ?
Ces 3 questions sont liées à cette question fondamentale, posée plus haut (cf. Euthydème) :
Quel est l'art ou la science que l'homme doit posséder pour être heureux ?
Cette prétention ou cette ambition d'une toute puissance par le logos, c'est dans le Gorgias qu'elle apparaît le plus clairement. Pour Gorgias, la rhétorique est l'art suprême, car : - elle n'a pas d'objet propre ; - mais elle impose son commandement à tous les arts. (La rhétorique est l'art de faire valoir les autres arts, elle donne son efficacité réelle aux autres arts ; cf. 456b-c.) La tradition philosophique a été très sévère à l'égard de la rhétorique. Le sophiste et le rhéteur sont tenus pour des marchands d'illusions. C'est la compétence qui domine, d'après Platon, et non l'art de persuader. Mais dire que le médecin doit se doubler d'un rhéteur, comme l'affirme Gorgias, n'est-ce pas rappeler que le rapport médecin/malade est un rapport de compétence ? Faire place à la rhétorique, n'est-ce pas aussi reconnaître que le rapport médecin/malade est également un rapport humain ? Le médecin est impuissant sans la confiance d'un malade ; le savoir ne confère d'autorité que si le médecin est reconnu compétent. Toutefois, la rhétorique n'est-elle pas qu'un art parmi d'autres ?
Elle n'a pas d'objet propre. Dans ce cas, s'agit-il d'une πολυμάθεια (polymathie : compétence universelle, encyclopédique) ? Cette capacité à parler de toutes choses correspond à ce que l'on entend par 'culture générale'. La technique de la rhétorique est purement formelle : elle ne suppose aucun savoir des choses, mais une certaine maîtrise de la langue, une expérience des hommes dans leurs relations. Si la rhétorique est un art de persuasion, c'est qu'elle intègre une expérience des hommes. Sur ce point, Aristote se sent plus proche des rhéteurs que de Platon. Or, quelle serait la position platonicienne ici ?
Platon affirme une opposition radicale entre rhétorique et philosophie (dialectique). La rhétorique se détache de la vérité du discours. Pourtant, on trouve dans Phèdre (260e sq.) l'hypothèse de 2 rhétoriques différentes :
- celle des sophistes, routine fondée sur l'opinion
- celle entièrement normée par la dialectique (et qui ne se confond pas avec elle)
Or, suffit-il d'énoncer le vrai pour convaincre ? La dialectique comme science de la réalité n'a-t-elle pas besoin d'une rhétorique ? Socrate recourt à la psychologie (étude des différents types d'âmes). A partir d'une science de la diversité des âmes et des discours, il serait possible de faire correspondre différents types de discours aux différents types d'âmes pour les faire accéder au vrai. Mais cette hypothèse ne sera jamais reprise. Aristote rejette l'idée même d'une rhétorique 'scientifique' : il n'y a pas d'autre rhétorique que celle des rhéteurs. Le rhéteur ne peut être un homme de science, parce que la science spécialise et isole. Elle sépare l'homme de lui-même, le morcelle ; elle ne permet pas de trouver en soi la plénitude de l'humanité (cf. Gorgias : le rhéteur l'emporte sur le savant, en tant qu'homme ; à la transcendance de ceux qui savent, il substitue la fraternité de ceux qui touchent aux opinions). Aristote réhabilite cette démarche de la pensée qui prend pour objet l'opinion.
3 questions doivent être posées, ici :
- Quelle est la valeur respective de la polymathie (de la culture générale) et de la compétence ?
- Quel rapport envisager entre science et opinion ?
- Qu'en est-il de cette question à la fois philosophique et politique entre universalité et commandement (cf. l'architectonique) ?
Ces 3 questions sont liées à cette question fondamentale, posée plus haut (cf. Euthydème) :
Quel est l'art ou la science que l'homme doit posséder pour être heureux ?