Liber a écrit: Silentio qui défend Dieu bec et ongles en me citant des tas de philosophes
Je ne sais pas ce qu'il vous arrive depuis quelques jours mais je vous prierai de bien vouloir descendre de vos grands chevaux. Je ne défends pas Dieu. Je vous porte la contradiction avec des arguments. Je vous montre qu'on peut envisager les choses autrement et que votre posture critique est parfois caricaturale. Je serai ravi cependant de vous voir trouver de bons arguments, au lieu d'une ironie irrespectueuse pour vos interlocuteurs, contre l'intérêt de la religion et du religieux. Vous avez décidé d'emblée que j'étais un religieux, et que c'était discréditant, alors que vous ne savez rien de moi et que je ne cherche ici qu'à rendre compte du fait que la religion présente un intérêt philosophique et que dire cela ne fait pas de moi un religieux, un être superstitieux, qui serait d'office discrédité parce que vous préférez le soupçon à l'argumentation. Merci de bien vouloir me lire et non de déformer mes propos parce que vous avez décidé de faire la chasse aux croyants (dont je ne fais pas partie).
Liber a écrit: l'allégorie de la caverne n'est pas pour moi un exemple de courage, mais de veulerie, le philosophe qui quitte ce monde pour se tourner vers la lumière divine
Vous omettez beaucoup de choses. Déjà il faudrait pouvoir discuter de ce que sont vraiment les Formes. Il n'est pas certain après examen qu'elles soient déconnectées du réel. De plus, dans cette allégorie le philosophe est obligé de retourner dans la caverne. N'oubliez pas que la finalité du platonisme est de répondre à l'impératif socratique de la vie bonne. L'ontologie platonicienne mène à la politique, la vie théorique à la pratique.
Liber a écrit: Un philosophe qui défend la liberté d'opinion ? Où avez-vous vu ça ?
Les libéraux défendent la liberté de conscience et d'opinion. Vous remarquerez que le passage que vous citez correspond à la politique. Castoriadis, par exemple, défend la liberté d'opinion en politique contre une société soumise au pseudo-savoir des techniciens. Or en matière de politique il n'y a pas de savoir vrai. On ne peut au mieux que se concerter et faire preuve de prudence (cf. l'absence de droit naturel, la positivité du
nomos et l'imprévisibilité de l'événement, le problème de l'action).
Liber a écrit: De plus, vous défendez quoi dans ces opinions ? Vous défendez les révélations de Mahomet, Jésus ou Moïse.
Je ne savais pas que la laïcité était l'alliée objective des religions. Ne détenant aucune vérité absolue je ne vois pas en quoi je peux forcer autrui à croire ou ne pas croire, dans la sphère privée, surtout lorsque la foi est authentique (elle ne se décide pas). Mais je défends la laïcité justement parce qu'il faut un espace public neutre qui soit hors de ces valeurs et veille à ce qu'il n'y ait pas de débordement. Par ailleurs, il me semble qu'en l'absence de toute révélation il vaut mieux être athée par défaut sans pour autant se fermer à ce qui nous permet de penser autrement (d'où mon agnosticisme).
Par contre, il me semble bon de limiter autant que possible l'influence des institutions religieuses car la vérité y sert à la domination, non au développement de soi dans la quête de sens. De toute façon la foi authentique est plongée dans le doute (cf. Kierkegaard). Une expérience religieuse authentique ne me semble pas correspondre à la religion officielle, aux offices, etc. Mais je ne vois pas pourquoi on se passerait de cette compréhension du monde en raison de la nocivité de la religion. Le problème c'est que la religion capte le besoin de spiritualité et ne produit pas une véritable spiritualité.
Liber a écrit: Et ils croient en quoi d'autre qu'en une puissance supérieure, qu'on la nomme Dieu, Yahvé, Allah, etc. ?
Peu importe le nom imposé culturellement, c'est à chaque fois ce qui n'a pas de visage et ne se nomme pas, c'est-à-dire la transcendance pure, l'absolu, l'illimité, un principe éternel et créateur. On peut en faire un principe anthropomorphique ou simplement cosmologique.
Liber a écrit: Toujours dans la transcendance. Si vous me parliez d'un Dieu immanent, panthéiste, je serais plus ouvert, car ce Dieu-là ne pourrait être imprégné de moraline. Si Dieu est en moi, si je suis Dieu, je m'impose moi-même mes lois, je crois en moi. Exactement ce qui faisait peur au chrétien chez Spinoza.
Mais n'est-ce pas prétentieux de se prendre soi-même comme propre norme, de se prendre pour un dieu ? Est-ce qu'on ne risque pas de passer à côté du principe de réalité ? Spinoza, d'ailleurs, après Hobbes, ne préconisait pas de faire n'importe quoi en raison du
conatus insatiable de tout dévorer pour se remplir d'être. Il a pensé la politique, c'est-à-dire la coexistence d'une multitude de désirs antagonistes. Seules la raison et la prudence, par un savant calcul, permettent de savoir s'il est bon ou non de chercher à satisfaire nos désirs car on peut se heurter dans cette recherche au désir des autres. Certes, le désir, la sensation et le mouvement sont le propre du vivant, mais l'homme ne vit pas seul et il n'est pas un dieu du fait même que le
conatus le montre bien comme en lui-même à moitié vide et dépendant de l'Autre pour persévérer en lui-même.
Liber a écrit: Foi véritable ou pas, il s'agit toujours de croyance en Dieu.
Certes, mais peut-on jamais se passer de croyances ? Voyez la philosophie pratique de Hume : nous croyons bien que le soleil se lèvera demain alors même que le principe de causalité ne se trouve pas dans l'expérience. On peut dire que la croyance en Dieu est tout aussi trompeuse. Et je suis d'accord. Mais j'attire votre attention sur d'une part l'hétérogénéité du réel, de l'expérience, à la raison, c'est-à-dire que le réel dépasse notre connaissance, d'autre part sur le fait que la vie pratique exige des croyances (pour assurer la stabilité de la connaissance, de la réalité sur laquelle agir et le motif de nos actions). C'est notamment le cas pour les mœurs, lesquelles ne sauraient autrement être fondées si la raison ne permet pas d'accéder à des principes intelligibles éternels.
Liber a écrit: Parce que vous pensez que dans l'Antiquité, on n'éprouvait pas le monde ? La philosophie se vivait bien plus au quotidien qu'aujourd'hui, dans nos facultés ou à Saint-Germain des prés dans les années soixante.
J'ai surtout fait référence au monde chrétien. Le sublime c'est Berkeley, Kant, Burke. Mais si on parle de la religion antique elle a cette spécificité d'être une religion politique, c'est-à-dire de la cité. Ou une religion civile/civique. La philosophie antique pouvait critiquer les dogmes, pas toujours la cité elle-même (ce ne sont que les stoïciens, préfigurant les chrétiens, qui se disent citoyens du monde), elle restait pratique et spirituelle.
Liber a écrit: Vous faites aussi un contresens en parlant de "contemplation du monde comme œuvre divine", car le christianisme consiste à fuir ce monde, non à le glorifier pour ce qu'il est.
Eh bien alors lisez l'
Éthique protestante et l'esprit du capitalisme de Max Weber.
Liber a écrit: Le sublime est plus sûrement athée que religieux, comme Darwin finit par le comprendre en s'observant lui-même. Nietzsche, qui était athée, n'avait pas besoin de Dieu pour éprouver le sublime d'un glacier ou d'un sapin au bord du gouffre.
Encore heureux !
Liber a écrit: Comment peut-on se dire chrétien sans croire à Jésus-Christ ? Or, Jésus-Christ est un dogme.
Il peut être une sorte de symbole dont la signification en dit long sur la condition humaine. L'universalisme de la symbolique chrétienne est vraiment fort.
Liber a écrit: Par rapport à la philosophie, il est effectivement absurde de croire à quelque chose sans preuve. Or aucun philosophe n'a prouvé l'existence de Dieu, pourtant presque tous l'ont intégré à leur philosophie.
Il y a pourtant des preuves classiques de l'existence de Dieu. Mais je crois que c'est l'erreur de la philosophie de vouloir prouver rationnellement ce qui dépasse la raison. Et c'est une erreur que de bâtir sur des suppositions aussi friables qui ne s'appuient pas sur l'expérience du monde. L'absence de Dieu est tragique et c'est pour cette raison que nous devons être responsables et nous recentrer sur l'homme. Mais je ne crois pas pour autant qu'il soit absurde d'aller puiser dans les enseignements religieux de quoi cerner un peu mieux les mystères de la vie, notamment parce qu'une religion comme le christianisme nous parle de notre condition misérable, de notre fragilité constitutive, donc de l'intérêt de nous soucier de nous-mêmes et de l'amour qui peut aussi nous permettre de nous transcender.
Liber a écrit: Il est certain que Spinoza a fait une grande avancée vers l'athéisme, puisqu'il nie toute transcendance. Dès lors, nous ne pouvons plus recevoir "d'ordre venu de plus haut", ce qui était pour les hommes le principal leitmotiv à l'existence de Dieu.
Mais ça ne résout pas le besoin ou désir de transcendance. Il devient justement problématique de faire sa vie, de conserver un ordre viable et vivable. Cf. le nihilisme. La spiritualité apporte une solution lorsque le sens ne nous est plus fourni par la religion ni par la société (le capitalisme et la techno-science font de nous des robots).
Liber a écrit: Voilà, je ne comprends pas tout du monde, parce que la compréhension du monde excède les capacités de mon cerveau, donc je me tourne vers la religion. Il n'y a pas besoin d'être philosophe pour ça. N'importe quelle grenouille de bénitier un tant soit peu cultivée a raisonné de la sorte.
Le danger est toutefois de gober tout ce que dit la religion alors qu'elle-même ne peut fonder en raison ses vérités C'est une voie à considérer, nous parlant d'une certaine expérience de la vie dont ne saurait parler la raison, mais qui n'est pas pour autant infaillible.
Liber a écrit: Ah mais tout à fait, sauf que j'aimerais que cette approche se fasse directement devant la nature, pas avec une Bible ou un Coran à la main ! Voyez Thoreau par exemple, voyez les antiques, voyez les animistes. Et ce divin ne se situera en tous les cas pas dans un autre monde.
Vous seriez donc un religieux sans religion, mais vous ne pourriez alors discréditer ceux qui tolèrent la religion parce qu'ils seraient, au fond, religieux.
Liber a écrit: De la part de quelqu'un qui a "aboli le savoir pour promouvoir la foi" ? Et la foi de Kant, elle vient d'où d'après vous ?
Du besoin d'espérer parce que l'homme réclame autre chose. On pourrait dire que la religion ou le besoin religieux naissent de la crainte. Peut-être, au contraire, sont-ils le fruit du désir, de la vie qui veut plus qu'elle-même. Alors, certes, ce besoin ne donne aucune existence à son objet désiré. Ne pouvant connaître le fond de la réalité, prenant donc en compte la finitude et le réel lui-même dans son caractère indépassable, la Critique kantienne me semble alors intelligemment laisser de l'inconnu et de l'inconnaissable. Sur le plan pratique, éthique, existentiel, ce n'est pas à la connaissance de décider d'un mode de vie, du sens de la vie. On peut reprocher à Kant de manquer de radicalité, de ne pas trancher alors que Schopenhauer et Nietzsche le font en poursuivant le criticisme jusqu'au bout. Mais la possibilité de la foi permet justement de distinguer ce qui relève de la raison et ce qui n'en relève pas. Autrement dit, je peux orienter ma vie d'après la présupposition qu'il y a un Dieu, parce qu'il faut bien des idéaux pour vivre, se donner une direction, mais si ce n'est pas déraisonnable (la raison reconnaît que la pratique exige des croyances) ça ne saurait constituer pour autant un argument rationnel sur l'existence ou non de Dieu.
Liber a écrit: Oh, mais qui voilà ? Le bon vieux Moïse : "Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu'on te fasse". Et ça se dit philosophe ?
Je n'y vois que sagesse, non Dieu. Comment une société serait-elle possible sans ça ? Et comment l'individu serait-il possible sans société ? Ou plutôt : comment un individu autonome peut-il advenir dans une société hétéronome ou éclatée qui opposerait les uns et les autres ou ne reconnaîtrait pas de loi et l'existence d'autrui ? Je dirais justement avec Hobbes que c'est une loi de nature que me dicte ma raison en tant que je cherche mon intérêt propre. Or, cherchant mon bien comme tout autre, je ne peux le faire qu'à la condition de renoncer à mon droit sur toute chose : laissant une place à autrui, je participe à l'élaboration d'un monde dans lequel je peux aussi exister, avec les autres, parmi eux, et exercer ma liberté.
Liber a écrit: Qui vous a donné cet ordre, "Tu ne tueras point" ?
Un législateur multimillénaire qui avait compris beaucoup de choses à la fondation d'une société cohérente. Par la suite, ma raison m'a fait reconnaître l'intérêt de la chose.
Liber a écrit: Dieu immanent chez Hegel ? Vous voulez rire ? Le Dieu d'Hegel, c'est le Dieu chrétien, de toute façon, il n'y a pas deux Dieux, il n'y en a qu'un. Ou bien il suffirait que ces messieurs se déclarent polythéistes, ce qu'ils n'ont jamais fait.
Hegel répond à Spinoza. Sa philosophie se base sur une interprétation du système spinoziste. Enfin, merci de m'éclairer sur l'unicité et la transcendance du Dieu hégélien, on ferait une sacrée découverte.
Liber a écrit: Le "x mystérieux dont on ne peut rien dire", oh là là, c'est inconnu donc il faut respecter.
Ça évite de dire n'importe quoi et de soumettre la réalité à ses désirs.