Silentio a écrit: Liber a écrit: Le vouloir-vivre kantien ? Je n'ai pas vu de vouloir-vivre dans sa morale, qui, en tout cas chez Schopenhauer, ne confère pas de ce fait à l'État la prérogative de la morale.
Pourquoi voudriez-vous que l'État ait la prérogative de la morale ?
Parce que c'est l'État qui assure la protection des citoyens. Sans la puissance de l'État, l'homme reste un loup pour l'homme, et encore, si l'État nous empêche de nous entretuer, il n'empêche pas la guerre économique, par exemple, ou toute autre compétition. Mais on peut aussi juger que les assassinats en Corse sont une sorte de morale. Cela dit, on comprend en général autre chose dans ce mot que la
vendetta. Quoique, certaines personnes pensent que la mafia s'auto-régule, sauf que là où règne la mafia, normalement, on dit que la morale n'existe plus.
Je vous rencontre, nous nous disputons car un jugement de ma part sur votre compte vous déplaît, je vous dérange, je nuis à votre puissance, etc., pourtant vous prenez sur vous, maître de vous-même, et vous faites preuve d'intelligence et de raison en ne cédant pas à votre envie ou au plaisir de me trucider.
A la bonne heure, vous êtes stirnérien, vous ne comptez que sur vous-même. Et si vous trouvez légitime de tuer, vous le faites, sans état d'âme.
Sinon nous nous battons et qui vous dit que je ne risque pas de vous tuer ?
C'est le jeu, nietzschéen ou stirnérien. La lutte est le fond de toutes choses, des uns elle fait des maîtres, des autres des esclaves. ;)
Je ne vous dis donc pas que le judaïsme est légitime, pas plus que la morale kantienne, simplement que c'est rationnel. Cette morale n'a aucun fondement réel, mais elle a besoin d'en avoir un (même imaginaire) qui la rend effective et efficace.
Vous interprétez le décalogue, qui ne dit pas "Tu ne tueras pas sauf si...", suivi de la liste des meurtres autorisés, mais "Tu ne tueras point". Je me souviens d'un titre de roman de la collection SAS : "Tu tueras ton prochain". Un amusant retournement de la formule qui montre qu'on ne peut pas la retourner, justement, car il est impossible de tuer tous les gens qu'on rencontre. En somme, vous faites de la realpolitik, vous pensez comme le chef d'État qui cache certaines choses à ses sujets, qui les manipule. Moïse manipule ses sujets, et peut-être même que Moïse, qui croit, est manipulé par Dieu !
Liber a écrit: Vous revenez à une conception utilitariste de la morale, totalement à l'opposé de la morale kantienne.
Oui, parce que la pureté morale, la moralité d'une morale, m'importent peu.
Voilà, donc vous êtes utilitariste (plus moral que la realpolitik, qui est sans scrupule).
Or je vous réponds positivement puisque cette visée a des effets concrets dans mon quotidien, en tant que je m'efforce de m'élever au-dessus d'un état primaire qui me serait nuisible.
Mais pas grâce à cette visée idéale, puisque vous revenez toujours à votre intérêt. Il n'y a pas d'intérêt, ni de punition dans la morale kantienne. Si j'agis par devoir, je n'agis pas suivant mon intérêt, j'agis d'une certaine façon parce que je le dois, exemple, je ne mens pas, non pas parce que en général ça me retombe dessus un jour, mais parce que je ne
dois pas mentir. Même un enfant demandera pourquoi il ne doit pas mentir. Ses parents lui répondront : "Parce que c'est comme ça", s'ils sont Juifs, parce que c'est écrit dans la Bible, et s'ils sont kantiens, parce que c'est l'impératif catégorique. Tout cela sans fondement.
Liber a écrit: L'impératif catégorique est un idéal, certes, mais ensuite ?
En tant que tel il ne nous concerne pas. Il peut simplement nous mener, me semble-t-il, une fois débarrassé de son caractère idéal et inconditionnel
Alors il n'est plus catégorique, et il n'est pas moral
du tout. Votre morale utilitariste est un immoralisme ! Ce qui d'un point de vue kantien, est très grave, car rien ne garantit que vous n'allez pas trouver de votre intérêt de tuer, comme un mafieux corse par exemple, ou bien tout simplement, parce que vous serez assez courageux pour passer à l'action et même y trouver de l'excitation, une manière de vivre plus intéressante (cf. Mérimée, Stendhal). La conception utilitariste n'est pas morale, la morale d'une action ne peut pas dépendre de sa finalité. Kant n'a pas si tort que ça, en fait.
Liber a écrit: Ne sert-il pas comme on le dit à fonder d'une manière détournée l'existence de Dieu ?
Non, Dieu est un postulat.
Oui, mais je ne peux pas penser la loi morale sans penser Dieu.
Si vous voulez, je critique avec vous l'idéalisme de Kant, mais je trouve ici l'idée simple d'un usage de la raison, une fois qu'on s'est débarrassé du poids du devoir (mais pas de la responsabilité), compatible avec le conatus, usage qu'on retrouve chez Hobbes et Spinoza.
Vous pouvez aussi vous inspirer de la maxime : "Considère l'humanité comme fin en soi", qui est une façon de donner une fin dernière à l'action morale.
Quel est le rapport de la vérité à la souffrance ?
Il n'y a aucun rapport entre les deux. Vous pouvez vous flageller tant que vous voudrez, Schopenhauer ne vous dira jamais que vous apercevrez Jésus-Christ ou la Volonté, ni selon son expression, que vous en aurez "l'intuition intellectuelle en prime". :lol:
Schopenhauer propose-t-il une fuite du monde ou d'endurer la souffrance grâce à la pitié ?
Ni l'une ni l'autre. Fuir le monde suppose un au-delà, un arrière-monde, or Schopenhauer n'a pas ça dans son attirail, au contraire de bon nombre de philosophes. La pitié ne sert pas à supporter la souffrance, d'ailleurs, l'homme Schopenhauer était bien peu enclin à la pitié, mais c'est un moyen de connaissance de la Volonté, comme la sexualité, sauf que la sexualité me laisse à la porte de la connaissance de la Volonté, puisqu'elle ne m'unit pas aux autres. La pitié me permet de reconnaître que je suis UN avec le reste des êtres, autrement dit, que je suis Volonté et que la Volonté est UNE. Vous donnez à la pitié un sens utilitaire, qu'elle n'a pas chez Schopenhauer. D'où l'étonnement que cet homme si méchant et si misogyne ait pu inventer une métaphysique de l'amour et de la pitié !