Liber a écrit: Comment pouvez-vous juger un philosophe si vous le déclarez irresponsable ?
Vous jouez avec les mots. Il ne s'agit pas d'une responsabilité juridique opposée au cas du fou injugeable puisque non conscient de ses choix. Il s'agit de dire que le philosophe prend les choses trop à la légère ou qu'il est de mauvaise foi, etc. Il n'est pas suffisamment responsable parce qu'il ne prête pas assez attention à quelque chose qui le concerne et qui concerne le bien de toute l'humanité. Regardez Heidegger et son engagement auprès du nazisme. Je ne dis pas que ça réfute toute sa philosophie, mais au moins une partie qui concerne la politique. Qu'il se soit volontairement trompé ou non, qu'il ait été antisémite ou seulement naïf, il faut faire la critique de ce qui, dans sa philosophie, mène à l'horreur. Heidegger a mal jugé du nazisme, il s'est laissé bercer par ses espérances et n'a pas suffisamment interrogé les présupposés ou préjugés qui l'ont mené là.
Liber a écrit: Soit il a des arguments convaincants (même les sophistes en avaient, puisque, défendant chaque point de vue, ils ne pouvaient avoir entièrement tort), soit il n'use pas bien de la dialectique, il a l'esprit confus, et dans ce cas, il n'est pas nécessaire de le critiquer.
Au contraire, il faut le critiquer si on veut ne pas se laisser avoir par ses sophismes, lesquels sont justement des arguments mal fondés qui sont savamment déguisés et flatteurs ou convaincants par leur force apparente.
Liber a écrit: Ce n'est pas vrai s'agissant de ces deux philosophes, mais apparemment, vous ne voyez l'altérité que sous la forme de l'humanisme, sous un aspect positif.
Pas du tout. Je la vois autant qu'eux sous ses aspects négatifs. Je suis même le premier à éprouver la difficulté de l'altérité. Mais c'est justement parce qu'autrui est menaçant, que le réel ne répond pas à mes désirs, que les rapports sont conflictuels et violents, qu'il faut aussi, pour vivre ensemble, des limites et des règles. Je ne dis pas que l'homme est moralement bon : il n'a pas de nature. Mais il est vulnérable aux autres et veut dominer. Or il ne saurait se passer d'autrui et de la société (elle nous est, de toute façon, préexistante). Donc il faut qu'il soit libre par la société, ce qui exige une maîtrise de soi.
Liber a écrit: Eux la voient sous celui du combat, et c'est une vision parfaitement légitime, c'est Calliclès contre Socrate.
Je vois aussi les choses sous la prisme du combat. La lutte individualise. Mais l'individuation n'est possible que là où il n'y a pas mise à mort et là où il y a aussi une société avec sa culture. Pour moi, la force se condense dans sa mise en forme, mais il faut éviter la mise en forme excessive (la répression des désirs et la domination d'une société sans devenir) aussi bien que le retour à la force brute. Dionysos se réalise par Apollon, là où Dionysos seul ne permet aucunement l'individuation humaine, c'en est le contraire. Bref, il s'agit d'empêcher tout absolu qui détruit la réalité humaine.
Liber a écrit: Pas sûr même que, vous réclamant de la réalité, vous soyez plus efficace si vous vous comportez en "bisounours".
Je ne prône aucunement le
peace and love et autres bêtises. Au contraire, se maîtriser relève de la lutte la plus haute. Et vouloir accepter l'altérité n'est pas l'accepter à n'importe quelle condition, au détriment de soi, ni se laisser faire, et ça signifie encore moins que c'est facile. L'altérité, tout comme le réel, est problématique. Prenons en charge ce problème au lieu de le nier. Le quotidien est une lutte pour respirer dans un monde hostile et y être libre.
Liber a écrit: Mélenchon. Il aime le libéralisme, il veut juste un meilleur salaire.
Tout à fait, c'est bien ce que je critique dans le Parti de Gauche (même si je m'en suis rendu compte un peu tard).
Liber a écrit: Quand vous adoptez un système, vous en devenez dépendant, et si vous le critiquez, vous le renforcez. Vous ne pouvez être efficace dans votre critique qu'en vous situant à l'extérieur, raison pour laquelle tous les philosophes qui ont créé des doctrines nouvelles furent des révoltés. Autrement, ils n'auraient jamais percé.
Théoriquement, je me situe au-delà. Maintenant, dès lors qu'il s'agit de la pratique, du mode d'action, c'est autre chose. Et être révolté ou révolutionnaire ne signifie pas vouloir tout détruire dans les faits : certes, je veux autre chose, mais la violence a montré ses limites (par exemple avec la révolution bolchévique menant au capitalisme d'État et à la bureaucratie de l'URSS). La révolution oui, la guerre non. La violence, en plus, est l'arme de l'ennemi. Le terrorisme ne fait que répéter et justifier la violence de ce contre quoi il se bat. Ce sont les idées qui changent les mentalités et les comportements.
Liber a écrit: Sauf que cette philosophie a commencé avec Kierkegaard, qui était chrétien, et qu'elle a donné lieu à un existentialisme chrétien. Pourquoi ne pas prendre comme exemple l'hédonisme ?
Je ne suis pas entièrement contre l'existentialisme chrétien. Ma critique principale sera que ce n'est pas une philosophie politique, ni de l'action. C'est une philosophie de l'individu et de la liberté, mais en même temps du repli sur soi et du quiétisme. L'hédonisme, au contraire, ça ne me correspond pas et globalement ça revient à encourager les gens à fuir la réalité, leurs problèmes, à ne pas assumer leurs responsabilités et à ne pas faire leur vie selon de vrais choix, et à s'oublier soi-même dans la recherche sans fin du plaisir (et le désir étant toujours insatisfait et violent, il faudra chercher toujours plus de plaisir, lequel disparaît dans son instantanéité). Le plaisir, c'est bien, mais comme tout excès il peut nous nuire sans qu'on s'en rende forcément compte. Vous buvez, vous buvez encore, puis vous êtes malade. Vous avez un problème de cœur, vous buvez pour oublier, et vous finissez dans le coma. Je ne vois pas là de liberté ni de bonheur. C'est même une philosophie tout à fait adaptée au capitalisme, au consommateur qui prend ce qui vient susciter son désir en le caressant dans le sens du poil.
Liber a écrit: Évidemment, un livre n'est jamais que le miroir de celui qui le lit. On peut casser le miroir, ça ne change rien à ce qu'on est.
Donc pour vous la philosophie est un divertissement comme un autre. On peut en dire ce qu'on veut et ça n'engage à rien.
Liber a écrit: En somme, vous pensez que le lecteur de Nietzsche doit se conformer à Nietzsche, que le miroir doit refléter l'auteur, et non le lecteur.
Je pense qu'il faut un minimum être en conformité avec les principes qu'on se donne ou plutôt qu'on fait mine de se donner et par lesquels on fait la leçon aux autres et on prétend être au-dessus d'eux. Or, dans le cas d'un nietzschéen, rien ne prouve, sinon cette auto-proclamation et auto-célébration de soi, qu'il est à la hauteur de ce qu'il prétend être. Bref, c'est souvent de la frime. Il en va aussi de l'honnêteté intellectuelle. Enfin, il n'est pas cohérent de vouloir être libre et de justifier une pseudo-liberté qui va en réalité à l'encontre de la liberté désirée.
Liber a écrit: Si vous viviez en Irak, vous auriez une kalachnikov comme tout le monde.
Certainement, puisque là-bas c'est la guerre (prolongée). J'ai donc tout à fait le droit, voire le devoir, de me protéger par n'importe quel moyen. Mais il est nécessaire de viser la pacification et l'établissement d'un véritable état de droit (pas que sur le papier). Je comprends donc tout aussi bien quelqu'un qui se bat pour sa survie que celui qui veut que la violence s'arrête. Les deux positions ne sont pas incompatibles puisque l'état de droit devrait garantir l'existence et le bien de celui qui se bat pour sa vie et sa liberté. Cela dit, je ne crois pas que la démocratie s'exporte, surtout quand c'est une pseudo-démocratie (cf. la démocratie représentative).
Liber a écrit: Vous n'êtes pas le sous homme moutonnier que le gouvernement veut vous faire croire, en vous garantissant la sécurité.
Tout à fait, mais en quoi la vie et l'activité s'arrêtent-elles dans un état de droit ? En quoi l'obéissance à la loi fait-elle que je me plie, tel un robot, aux ordres venus d'en haut ? (D'ailleurs, je critique aussi dans le libéralisme toute gouvernementalité qui s'appuie sur la sécurité pour normer et normaliser nos conduites.)