Liber a écrit:Je parle justement de la force, présente dans cet océan naturel de volonté de puissance, et qui vise à s'exprimer et prendre forme (le corps comme individuation et lieu de lutte d'instincts ou de pulsions sur d'autres). Les rapports de force et l'organisation de la force, de même que la vitalité des individus et de la société, et les valeurs, pratiques, façons d'être, etc., ont une influence mutuelle et réciproque.On sait que Nietzsche ne s'est pas contenté de l'histoire humaine pour expliciter son concept, il a aussi cherché du côté des sciences naturelles. Cette volonté, on la retrouve dans toute la nature, et on sait aussi qu'il comptait l'appliquer au moindre grain de poussière.
Liber a écrit:L'homme aime déchaîner sa force, donc la gaspiller. A-t-il même la perfection de l'animal ? Spinoza dit clairement que l'homme n'aura jamais la perfection du cheval. C'est au contraire l'homme qui peut désirer parce qu'il est incomplet en lui-même et par lui-même. Il a besoin d'éprouver la force, mais elle semble ne se manifester en lui qu'au moment de l'exercer et de la perdre. Et il dépend toujours de l'Autre qu'il a à dominer pour se sentir fort, c'est-à-dire que par lui-même il ne l'est pas. Dans l'Antiquité, au contraire, l'aristocrate est fort et gouverne les autres, par lesquels il gagne sa supériorité, en sachant lui-même se gouverner (j'insiste :)). On peut apprécier la plasticité d'Alcibiade, sa capacité à adhérer au réel, il reste que pour gouverner la cité et se réaliser comme aristocrate (dans la fonction politique et le rôle qu'il est censé adopter, pour lequel il doit être formé) il lui faut d'abord cesser de se perdre dans ses désirs et se gagner à lui-même. C'est en concentrant la force, en étant un pic ou un centre d'impulsion qu'il peut commander aux autres (c'est d'ailleurs tout l'enjeu de la rhétorique en politique, par laquelle l'individu devient supérieur et peut convaincre les autres, c'est-à-dire les dominer et pérenniser une domination ou un rapport de force qui influence les conduites).Il y a donc bien une volonté de dominer chez les êtres vivants, machinale, inconsciente, implacable. Quand passe-t-on dans la traduction française de cette volonté de dominer à la volonté de puissance ? Eh bien, quand on en arrive à l'homme ! Oui, car l'homme, comme cela est parfaitement montré dans la Généalogie, se réjouit de dominer, il prend plaisir à exercer la cruauté ! D'abord la bête brute, qui a un plaisir, une joie de détruire quasi sauvage, ensuite le bourreau, qui ne sait quoi inventer pour raffiner les moyens de torture, enfin le puissant, dont ce plaisir de la force appliquée sur autrui culmine dans le pouvoir d'accorder la grâce. Il y aura peut-être un jour aussi l'homme accompli, le fruit mûr, qui a dépassé à la fois la bête brute et l'homme civilisé.
Détruire exalte un temps et libère notre désir, mais ensuite est-on plus plein de force ? Est-on satisfait ou vide, ou les deux ? Est-on motivé à viser quelque grande action que ce soit ou va-t-on aveuglément détruire à nouveau ? Le but est-il de devenir un animal ou de devenir humain ? Quelle est la spécificité de l'homme ? La puissance pourrait plutôt faire penser à la force qui se conserve et s'accorde à elle-même, et donc à la maîtrise, à la retenue. C'est la force qui se contient elle-même et s'accumule, que l'on a en soi, que l'on est, celle qui nous permet de réaliser un savoir-vivre supérieur comme Gœthe a su le faire (lui qui d'ailleurs était si calme en apparence et en réalité hypersensible et passionné ou nerveux, selon l'article qui lui est consacré dans l'Encyclopédie Universalis). On voit bien que le surhomme est un idéal. Dans la réalité, il s'agit plutôt de savoir quel type d'homme on veut. Est-ce que l'on parle de la volonté de puissance pour les intellectuels (qui "agit" par l'interprétation du monde, la production de valeurs, etc.) ou est-ce que l'on veut simplement un homme qui agisse dans le monde sans pour autant créer et qui exprime basiquement la vertu de son être, son conatus ? Ne lui faut-il pas aménager son monde, le conquérir et non pas s'en nourrir et en faire une terre brûlée ?
Dernière édition par Silentio le Lun 4 Juil 2011 - 11:22, édité 2 fois