Lou S. a écrit: Et bien, forcément, ce que ça fait à une chauve-souris d'être une chauve-souris, on ne peut pas le savoir.
Nul besoin de comparer des espèces. Si l'émotion accompagne nos représentations en conscience et si par la nécessité de rationalisation chaque individu se raconte une histoire du monde, alors deux individus de la même espèce ne pourront jamais se mettre à la place l'un de l'autre. Même si les outils pour appréhender le monde sont communs, il y a un niveau de conscience globale faisant intervenir tout un système complexe qui fait qu'une expérience "
fait" quelque chose pour l'être. Et cette information est unique car elle s'inscrit dans une histoire unique qui y participe. De plus la liberté conditionne cette singularité. Un environnement social et culturel commun permet de traduire des expériences objectives, c'est-à-dire seulement relatives à ces objets que rapportent les outils. C'est ainsi qu'en parlant de madeleine, tout le monde saura de quoi il retourne. Mais personne ne pourra à la place d'un autre savoir ce que cela fait que d'avoir une madeleine en conscience. C'est pourquoi des récits purement objectifs n'intéressent pas grand monde. Un ami à moi vient de traverser l'Atlantique à la voile. Dans cette phrase tout est dit. On voit la mer, le bateau, on imagine l'infini de l'océan, la solitude, etc. Mais l'important n'est pas là. Il serait plutôt dans la question : ça fait quoi ? Et encore, des centaines de marins pourront, même s'il y a des sentiments communs qui ont sûrement une explication objective, avoir des émotions différentes. Et la vraie question devient :
Cela fait quoi à toi ? Parce qu'intuitivement nous savons qu'une expérience n'est pas qu'un acte, mais qu'il
fait pour un être unique. Et c'est dans ce
faire pour un être unique qu'il prend du sens. Alors bien sûr nous pouvons partager des sentiments, c'est-à-dire des "
ce que cela nous fait". Et l'on peut se comprendre parce qu'on ramène, par le langage, de l'unique à de l'analogue qui confère une proximité de sens entre diverses expériences. Au-delà de cela il y a, semble-t-il, des sentiments qui préexistent à l'expérience. Sont-ce des canevas issus de l'évolution dont nous aurions gardé quelques traces parce qu'indispensables à la survie ? Sont-ils conjoints aux outils précités ? Je le pense, encore qu'ils n'émergent qu'en situation. Mais encore, ils ne disent pas ce que cela fait pour un être unique, c'est-à-dire quand un individu intègre en conscience telle expérience à son histoire. Quelle représentation et quel sens lui donne-t-il ? Mystère. Cela peut être analogue à d'autres individus avec des histoires forcément différentes, mais cela nous laisse irrémédiablement seuls et sans réelle connaissance de la conscience d'autrui. Tout ce que nous arrivons à faire c'est de nous raconter des histoires sur le mode du partage entre consciences, jamais sur celui de la connaissance d'une conscience.
Dernière édition par Vangelis le Jeu 1 Sep 2011 - 15:22, édité 1 fois