Vous parlez de politique, de débats politiques, de combats, etc. Mais, dès que nous abordons un thème de société nous faisons de la politique. L’intellectuel, le philosophe ou le citoyen qui expose des considérations relatives à un thème de société fait de la politique. Elle n’appartient pas aux hommes politiques. La question de la subjectivité ne se limite pas au débat politique au sens strict. Comme le dit Toniov, nous sommes nécessairement convaincus par nos considérations. Savoir que nous ne détenons pas la vérité absolue ne signifie pas que nous ne croyions pas détenir une vérité.
Le scientifique pense détenir une vérité (scientifique). De même pour l’intellectuel, le philosophe, l’homme politique, le citoyen. Celui qui pose telle proposition sur l’euthanasie, la libéralisation des marchés, le contrôle de prix, le droit au logement, etc., pense vraiment que sa proposition va réellement apporter quelque chose de mieux que d’autres propositions. Il pense qu’il va apporter quelque chose de bénéfique ou de pratiquement utilisable. Celui qui propose un système économique de tel ou tel type pense vraiment que celui-ci est plus souhaitable qu’un autre. De fait, à certaines époques, selon certaines conditions et pour certains peuples, un système peut être plus bénéfique qu’un autre.
Une telle proposition peut s’avérer vraie, même si elle n’atteint aucune vérité absolue.
Lorsque nous lisons les essais des philosophes, il me semble que très peu de ce qu’ils disent peut être considéré comme objectif. Nous sommes dubitatifs ou nous sommes plus ou moins convaincus par le propos. Nous leur trouvons un certain intérêt ou pas. Les considérations de ces philosophes sont forcément subjectives (pourrait-on jamais dire que Bergson est objectif ?) Or, nous ne leur opposons pas sans cesse cette subjectivité évidente.
A vrai dire, il me semble que dans les échanges entre intellectuels, écrivains, essayistes, l’argument de la subjectivité n’est guerre employé : il ne viendrait à l’idée de personne d’opposer à André Comte-Sponville l’évidence même que, par exemple, son essai sur l’amour et la sexualité, Le sexe ni la mort, est subjectif. Or, il émet bien certaines considérations qui peuvent nous convaincre, nous séduire, nous laisser dubitatifs, etc. Nous n’avons pas besoin d’absolu pour croire en la vérité ou la fausseté de certaines de ses considérations. Il en est autrement chez le quidam. Il me semble que le recours à l’argument de la subjectivité est plus généralisé. En écoutant des gens débattre, j’entends souvent « c’est subjectif », « tout est relatif » pour clore ou éviter d’argumenter.
Il me semble que la vérité de la subjectivité est utilisée de manière dévoyée. Dans son dictionnaire de philosophie, André Comte-Sponville indique une réponse à ce problème : on peut être totalement relativiste en ce sens que l’on sait qu’aucune vérité absolue n’existe en sachant également que telle ou telle idéologie est nocive, tel ou tel fait immoral. On n’a guerre besoin d’absolu pour combattre le nazisme. Par contre, chez certaines personnes, le relativisme conduit à affirmer qu’en dehors de ce qui serait objectivable toutes les positions se valent et que par conséquent on ne peut débattre utilement de ce qui serait subjectif. Cela me semble être une conclusion erronée : nous n’avons pas besoin d’absolu pour pouvoir débattre utilement et affirmer la vérité ou la fausseté de certaines propositions.