benfifi a écrit: ce mirage, ce fait-mirage-là fait partie du réel : la science l'atteste.
Vous confondez avec un entêtement ou un aveuglement inquiétant deux choses : le phénomène (du mirage) et la réalité à laquelle il est censé correspondre (l'oasis). Vous convoquez la science avec un aplomb qui vous maintient dans l'impasse. On pourrait tout aussi bien vous parler des OVNIS, des fantômes, des éléphants roses ou encore de la tétraplégie endémique des oursins peuplant les côtes du Mozambique, ou de tout ce qu'on voudra, il vous faudra rendre raison à un moment ou à un autre. Quand vous ouvrez votre frigidaire pour déguster le camembert que vous avez acheté la veille, votre olfaction n'opère pas un retour sur elle-même pour pouvoir décréter,
in fine, si, oui ou non, elle a repéré l'objet camembert ou l'illusion du camembert. Vous sentez l'odeur du camembert, i. e. vous savez qu'il y a du camembert, que c'est du camembert, et pas l'odeur d'un pot d'échappement ni un fer à repasser. Entre la représentation d'une chose (autrement dit, aussi, la réalité de la représentation comme telle) et la réalité de cette chose, il y a un gouffre. Celle-là
ne donne pas celle-ci.
Cinq philosophes aussi différents que Pascal, Hume, Kant, Nietzsche et Rosset démontrent que nul n'a pu faire
l'expérience du moi (on pourrait évidemment ajouter Montaigne qui, dès avant Hume, affirme que nous ne sommes rien d'autre qu'une rhapsodie, avec laquelle chacun compose ce qu'il peut). Pascal, Kant et Nietzsche ne sont pourtant pas des empiristes.
Je ne vous ferai pas l'éloge de la lenteur, mais, dans la manière que vous avez de vous jeter sur certaines questions, vous donnez l'impression, ou bien que la connaissance (le questionnement) ne vous intéresse guère, ou bien que la connaissance ne vous intéresse que pour réduire à rien l'altérité, ce qui échappe à la compréhension (au moins provisoirement). Vous tombez ainsi sous le coup de la critique nietzschéenne qu'on peut lire aux § 354 et 355 du
Gai savoir, et qui a inspiré à Enthoven cette remarque fort judicieuse :
Raphaël Enthoven, Souvenirs du présent, Philosophie Magazine, septembre 2013 a écrit: [C'est], aux yeux de Nietzsche, "l'instinct de la crainte" qui nous incite à connaître, plus précisément "la volonté de trouver parmi tout ce qu'il y a d'étranger... quelque chose qui ne soit plus pour nous un sujet d'inquiétude". Comme elle a pour fonction - ou pour raison d'être - de lisser les contours de l'inédit, de rendre la nouveauté supportable, toute connaissance se donne d'abord comme une reconnaissance, c'est-à-dire une méconnaissance de l'altérité. Tel un estomac qui assimile des aliments divers en excréments comparables, le goût de connaître réduit l'autre au même, le singulier au cas particulier, l'étrange au semblable et, cherchant son pareil dans le miroir que les autres nous tendent, assigne au monde redevenu monotone l'ennuyeuse tâche de nous montrer seulement notre propre image. Connaître, c'est digérer les différences pour supporter de vivre.
Ainsi naît la "conscience", l'affect grégaire par excellence qui, usant d'un langage commun pour unifier les représentations, donne au désir d'être un mouton la forme flatteuse de l'individualisme. Quoiqu'elle se présente comme la signature de sa singularité, la conscience ne s'est développée que sous le rapport de l'utilité communautaire et grégaire, "et chacun de nous, nécessairement, en dépit de la meilleure volonté pour se comprendre aussi individuellement que possible, pour "se connaître soi-même", ne fera pourtant jamais autre chose que d'amener du non-individuel à sa conscience." Le monde dont nous sommes "conscients" est un univers d'idées informes et suffisamment lâches pour accueillir et dissoudre l'unicité d'un être dans la masse des lieux communs.